Les portes invisibles de la transmission
- Marina Acosta

- 29 oct.
- 4 min de lecture

Il y a des héritages qui ne passent ni par le sang, ni par les mots, mais par les gestes, les regards, les silences. Pendant mon enfance et mon adolescence, j’ai eu la chance d’être entourée de deux figures artistiques puissantes : ma grand-mère, femme de culture et de cœur, et le peintre Rancurel, son ami, son complice, son miroir créatif.
Ce blog regroupe quatre récits, quatre fragments de mémoire, quatre instants où l’art, la transmission et la confiance ont changé quelque chose en moi. Ils parlent d’un été initiatique, d’un atelier habité, d’une fenêtre qui m’a bouleversée, et d’une porte invisible qui m’a ouvert le chemin.
Ces textes sont des hommages. À ceux qui nous donnent sans bruit. À ceux qui nous voient avant qu’on se voie soi-même. À ceux qui nous offrent, un jour, la certitude que l’inspiration suffit.

🎨 Les 9 muses, sans le dire
Petite, je passais chaque été un mois seule avec ma grand-mère paternelle qui s'appelait Lucienne Tamet.
Ce n’était pas une colonie de vacances. C’était un monde à part.
Un mois rythmé en neuf temps, comme une partition secrète. Chaque moment de la journée était dédié à un art : musique, danse, poésie, théâtre, littérature, peinture, chant, écriture, sculpture, contemplation de la nature, jardinage …
Mais elle ne disait jamais : "Je t’enseigne." Elle ne se vantait pas de faire mon éducation artistique. Elle vivait l’art, et me partageait sa passion dans la vie, tout simplement.
Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris : Elle avait conçu pour moi une formation sur mesure, une initiation douce et profonde. Et sa devise, que je n’ai comprise qu’adulte, résonne encore aujourd’hui : "Les 9 muses ont été honorées."

🖌️ Elle veille
Dans mon atelier, il y a un portrait à la plume. C’est celui de ma grand-mère, réalisé par Rancurel, son ami peintre. Il est accroché là, silencieux, mais je le sens me regarder. Pas pour juger. Pour veiller.
Elle est une âme bienveillante, une gardienne invisible de mon travail d’artiste. Elle ne corrige pas mes traits. Elle m’encourage à les suivre. Elle ne me demande pas de réussir. Elle me rappelle d’être fidèle à ce que je ressens.
Chaque fois que je doute, je lève les yeux. Et je me souviens : "Les 9 muses ont été honorées." Alors je continue.
🖼️ Une fenêtre, un choc, un monde
Ma grand-mère organisait des expositions internationales de peinture à Bédarieux avec son grand ami, le peintre Rancurel.
Ensemble, ils avaient fondé l’association L’œil et la main — un nom qui disait tout : voir, ressentir, créer.
Un été, elle assurait les permanences de leur exposition. Elle m’a dit : "Va voir les tableaux. Regarde-les. Prends ton temps. Et dis-moi ce que tu en penses."
Je me suis promenée dans la salle, un peu intimidée. Et puis je suis tombée sur une fenêtre. Pas une peinture de fenêtre. Une fenêtre en taille réelle, avec des volets en bois, et une botte de raphia accrochée à un clou.
C’était si réaliste que j’ai cru pouvoir l’ouvrir. J’étais fascinée. C’était ma première rencontre avec l’art de Rancurel. Et je l’ai adoré.
Ce jour-là, j’ai compris que l’art pouvait être un choc, une révélation, une porte vers un autre monde. Et que ma grand-mère m’avait offert ce moment comme on offre un secret.
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🎨 La porte invisible
Un jour, Rancurel nous a invité chez lui. Il vivait dans une maison au bord de l’Orb, tout au bout de la Grand Rue de Bédarieux.
On a grimpé un vieil escalier en colimaçon, sombre, grinçant, presque secret. Arrivées tout en haut, j’ai cherché la porte… mais il n’y en avait pas. À la place, un présentoire à cartes postales. En réalité, c’était un tableau. Un trompe-l’œil si parfait que je n’avais pas vu la porte.
Ce jour-là, il a donné son violon à ma sœur. Et à moi, il a offert le plus précieux des cadeaux.
Ma grand-mère venait de lui confier que j’avais refusé d’entrer aux Beaux-Arts. Que je pensais ne pas avoir de talent. Que je ne voulais pas prendre la place d’un “vrai” peintre. Et que, par scrupule, j’avais saboté mon propre entretien d’entrée à Rouen — en sa présence — parce que j’avais dit à son cousin, responsable des admissions, que je ne voulais pas être pistonnée.
Il a souri. Et il m’a dit simplement : "Tu sais, personne ne m’a jamais appris la peinture. J’ai commencé à 40 ans."
Dans cette phrase, il m’a transmis quelque chose d’immense : la confiance dans mon inspiration. La certitude qu’un autodidacte peut développer un savoir-faire et un talent qu’aucune école ne peut enseigner.
Et surtout, il m’a appris qu’il n’y a pas d’âge pour qu’une vocation se révèle, ni pour qu’un talent s’épanouisse. C’est sans doute pour cela que, à 51 ans, j’ai encore cette envie intacte d’avancer dans la création, d’explorer, de chercher, de transmettre.
Ce jour-là, j’ai découvert l’art du trompe-l’œil. Mais surtout, j’ai compris que la vraie porte, c’est celle qu’on ouvre en soi.
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Ces récits ne sont pas simplement des souvenirs.
Ce sont des empreintes vivantes, des gestes qui continuent d’agir en moi, dans mon atelier, dans mon regard, dans ma manière de créer.
Ma grand-mère et Rancurel m’ont transmis bien plus que des objets ou des mots. Ils m’ont offert des portes invisibles — celles qu’on ne voit pas toujours, mais qu’on franchit un jour sans s’en rendre compte. Des portes vers l’inspiration, vers la confiance, vers une forme d’art qui ne s’apprend pas, mais qui se ressent.



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